Nos enfants méritent une ville cyclable

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Nos enfants méritent une ville cyclable

Bruxelles change. Les enfants et les familles qui se déplacent à vélo sont de plus en plus visibles. Bien sûr, un long chemin reste à parcourir pour atteindre les niveaux de confort et de sécurité des villes cyclables du nord de l’Europe. La voiture occupe toujours une place écrasante et polluante. Mais de nombreux signes sont encourageants. L’objectif est désormais partagé bien au-delà des cyclistes convaincus. Car une ville plus cyclable, c’est une ville plus sûre et plus respirable pour tous. À commencer par nos enfants.

Qu’il pleuve, qu’il vente ou que le soleil brille, les enfants qui se déplacent à vélo ont le plus souvent la mine réjouie. Sur le siège bébé du biclou de papa, dans le bac du vélo cargo de maman ou, bientôt, sur leur propre bicyclette, ils sont de plus en plus nombreux dans nos rues, à l’image du nombre global de cyclistes. Les comptages de l’Observatoire du vélo en Région de Bruxelles-Capitale pour 2019 montrent que les déplacements à vélo ont augmenté de 13% par an, en moyenne, depuis 2010. Un signe qui ne trompe pas : le vélo cargo, encore quasi inconnu à Bruxelles il y a cinq ans, devient le type de vélo le plus prisé des familles qui roulent avec des enfants. 

Un impératif : la sécurité

Le spectacle qu’offrent les enfants à vélo à Bruxelles, aussi réjouissant soit-il, n’est pourtant pas tout à fait le même qu’aux Pays-Bas ou au Danemark. Contrairement à ces pays, il est rare de voir chez nous un enfant à vélo sans casque ou sans gilet fluo. Bien que ces équipements ne soient pas obligatoires, force est de constater qu’ils sont un facteur de visibilité, et donc de sécurité, tant que l’espace urbain est monopolisé par les véhicules motorisés. Surtout quand ces véhicules sont aux mains de conducteurs trop souvent enclins aux dépassements de vitesse et absorbés par leur téléphone, ainsi que le montre une récente enquête de l’institut Vias

N’oublions pas que vue à hauteur d’enfant, une voiture a la taille d’un camion. Que dire alors des SUV surélevés ou des pick-ups de plusieurs tonnes qui font l’objet de tout le zèle publicitaire des constructeurs, et séduisent tant de familles ? De par leur taille, leur poids et la pollution qu’ils génèrent, de tels engins font pourtant peser des risques supplémentaires sur la santé et la vie même des enfants. Des faits divers le prouvent trop souvent. C’est d’ailleurs pourquoi le GRACQ et plusieurs associations demandent l’interdiction de la publicité automobile. Il ne s’agit pas d’interdire la voiture, qui a son utilité, mais de la mettre à sa place : une place plus réduite, et surtout la plus éloignée possible de nos enfants.

Pour la santé de tous

La possibilité pour les enfants de circuler en sécurité à vélo, pour se rendre à l’école ou sur leurs lieux de loisirs, est sans doute le premier critère pour évaluer une ville cyclable. À l’aune de ce critère, Bruxelles est encore loin du compte. L’urgence, pourtant, n’est plus contestable : l’Organisation mondiale de la santé multiplie les alertes contre la sédentarité et la pollution, qui menacent la santé et l’avenir des enfants. Or quoi de plus simple que de marcher ou de pédaler pour combattre à la fois l’obésité précoce, respirer un air moins pollué et contribuer à limiter le réchauffement climatique ?

Enfants sur le chemin de l'école à vélo, Bruxelles

“Repenser la ville”

À l’occasion du départ du Tour de France, en juillet 2019, le GRACQ et de nombreux partenaires ont publié une lettre ouverte résumant leurs préconisations afin de « faire de Bruxelles une ville pensée pour nos enfants ». « Ce que nous demandons, écrivent-ils, c’est une ville qui tienne compte tous les jours des poumons et de la sécurité de nos enfants dans le trafic. Fondamentalement, il s’agit de repenser la ville. Barcelone, Oslo, Copenhague et Utrecht le font depuis longtemps. Qualité de l’air, trafic sécurisé et accessibilité sont au cœur de leurs démarches. »

Demandant aux responsables de « faire preuve de courage politique », les associations leur suggèrent d’abord de concentrer leurs efforts sur « la réduction drastique de la pression automobile : des quartiers vivables avec un trafic apaisé, cela s’obtient avec des plans de circulation qui orientent le trafic, des zones 30, des interventions physiques dans les rues et une fiscalité qui dissuade l’utilisation de la voiture et le trafic de transit. » 

La seconde condition pour favoriser les mobilités actives est de mettre en place « un réseau sécurisé pour les cyclistes et les piétons, un réseau qui soit adapté aux enfants et accessible aux personnes à mobilité réduite. » Un tel réseau n’a pas vocation à chasser la voiture des rues, mais à rendre aux nombreux non-automobilistes la place nécessaire pour circuler en sécurité. De nombreuses villes en Europe du Nord appliquent ces méthodes avec succès depuis des décennies. Elles ont partagé des guides de bonnes pratiques dont nos aménageurs peuvent s’inspirer.

des exemples à suivre

L’efficacité conjuguée d’une réduction drastique de la pression automobile et d’aménagements bien pensés a fait ses preuves, jusque dans une capitale comme Oslo, au climat pourtant plus rude que Bruxelles. On y observe des piétons et des cyclistes sereins, et aucun bouchon ne perturbe le réseau très dense de bus et de tramways, utilisé par toutes les catégories sociales et tous les âges.

Tout cela ne se réalise pas en un jour. Mais dans la période de transition, chacun peut faire sa part. Les communes commencent à limiter les vitesses et à mettre en place des « rues scolaires » devant les écoles, où la circulation motorisée est interrompue aux heures d’entrée et de sortie des classes. Aux Pays-Bas, ce sont des « zones scolaires » qui limitent la vitesse à 20 km/h dans les rues adjacentes.

Le rôle des parents

Les parents ont aussi un rôle à jouer, d’abord en prenant conscience qu’ils peuvent briser la spirale infernale dans laquelle beaucoup se sentent enfermés : la rue n’est pas sûre pour mes enfants, je les emmène donc à l’école en voiture, accroissant ainsi le trafic, le danger et la pollution. Et si tous ceux qui le peuvent alimentaient au contraire un cercle vertueux ? J’accompagne mon enfant à pied, à vélo ou en transport en commun, réduisant ainsi le trafic automobile, la pollution et le danger autour de l’école. Je suis rassuré, mon enfant respire mieux et fait de l’exercice physique, loin des écrans…

Cercle vertueux et spirale infernale des parents-taxi qui emmènent leurs enfants à l'école

La plupart des élèves du primaire habitent à moins de 5 kilomètres de leur école, une distance parfaite pour pédaler. Pour les familles qui hésitent à franchir le pas, des associations comme le GRACQ ou Pro Velo proposent des formations pour apprendre à se déplacer dans le trafic. Le Brevet du cycliste et d’autres initiatives offrent aux élèves l’occasion d’apprendre à circuler à vélo, mais elles sont loin d’être encore généralisées. À l’âge du secondaire, enfin, les jeunes trouvent dans le vélo un outil de liberté et d’autonomie, en cohérence avec leur engagement de plus en plus marqué contre la pollution et le réchauffement climatique.

Les cyclistes quotidiens du GRACQ en sont persuadés : Bruxelles ressemblera un jour à Utrecht ou Copenhague. Des villes qui se distinguent par une circulation apaisée, un air plus pur… et des enfants à vélo dans toutes les rues. Des villes cyclables, certes, mais surtout des villes où la circulation et la vie quotidienne sont rendues plus agréables et plus sûres pour tous : piétons, cyclistes, usagers des transports en commun mais aussi automobilistes. Chacun pouvant, selon les besoins, passer d’une catégorie à l’autre. Jeunes ou vieux, nous avons tous à y gagner. 

François Cibot
co-coordinateur du GRACQ-Ixelles

Merci à Philippe Declercq pour les photos


Making of

Cet article, rédigé juste avant le confinement, a été publié en avril 2020 dans La Revue de l'Institut Saint-Boniface-Parnasse, à Ixelles, qui avait sollicité le point de vue du GRACQ pour un dossier consacré à la mobilité des élèves. La Revue, distribuée aux parents, aux anciens et aux enseignants, est tirée à 2500 exemplaires. La question était la suivante : « Que reste-t-il à faire à Bruxelles pour qu’elle soit une ville agréable et sûre à vélo ? ». Dans ce dossier, l’institut a publié un sondage sur les pratiques et les souhaits de ses éléves pour se rendre à l’école. Alors qu’ils étaient seulement 4% à venir à vélo ou trottinette, leurs réponses montrent que pour l’avenir, ils sont « nombreux (22%) à se tourner vers les solutions plus vertes du vélo et de la trottinette (électrique ou pas). Mais la grande majorité (…) insiste sur l’urgence d’améliorer les infrastructures urbaines pour mieux garantir la sécurité des usagers “faibles”. Ils mentionnent des pistes cyclables trop rares, trop étroites, trop dangereuses, un climat de constante rivalité entre automobilistes et cyclistes, “trop de méchanceté” ». Des analyses totalement en phase avec celles du GRACQ. Est-ce vraiment une surprise ? 

 

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